samedi 31 janvier 2009

vendredi 30 janvier 2009

le fond de l'air...

Le fond de l’air...




Quelque part en province. Ce jeudi.

J’y ai fait un petit tour. Comme chaque trimestre, le peuple de gauche s’était donné rendez-vous dans les rues avec pour munitions contestataires, ballons, pancartes, drapeaux et autres confettis. Tout le monde avait l’air plutôt joyeux de participer à la kermesse hivernale. Les chiens, les enfants étaient de sortie, même la grand-mère et le cousin handicapé. On a pris l’air, il faisait beau. Les marginaux se sentaient moins seuls ; on en voyait trainasser quelques-uns ici et là, villageoise à plein goulot, heureux de voir du monde s’inviter à la maison. Des gens se distrayaient à déchiffrer les slogans les plus réussis. Beaucoup étaient minables, mais manifestement un certain nombre de gentils provocateurs avait pris le temps de se fabriquer, chacun, un joli doigt d’honneur symbolique. Clameur dans la foule, enfin le convoi pouvait démarrer. A chaque chapelle, sa grande banderole et sa délégation, les forces de progrès étaient toutes réunies ; Syndicats et partis faisaient fièrement flotter leur couleur dans le ciel parfaitement bleu. Hautes les doléances : délocalisations, service public, pouvoir d’achat…l’éternelle rengaine. Mais triste rengaine. L’époque filait mal, très mal. Chacun semblait d’accord sur le diagnostique - comment ne pas l’être – mais il soufflait comme un vent d’impuissance, comme un cyclone inéluctable…
Incontournables aussi les chants et les musiques des sonos grésillant : Aux oreilles nous revenait sans cesse l’éternel Trois pas avant, trois pas en arrière…sur fond de motivés et de Manu Chao entre autres mélodies traditionnelles. Les voix s’émoussaient un peu au plus le défilé progressait. On croisait des connaissances, des amis qui spéculaient sur le nombre de manifestants ; On voyait du monde, on souriait, on commençait à sérieusement envisager l’apéritif. Bref, pour tout dire, on flairait grossièrement le parfum du déjà vu : Jovialité et revendications teintées d’un pessimisme manifeste…Un énième mouvement probablement inutile, mais qui aura certainement eu le mérite d’en faire chier quelques-uns, de contrarier les apologistes de la productivité, les pourfendeurs de la prise d’otage, les haineux en tout genre du petit peuple inquiet, s’il ne les a pas fait rire…

Mais ce ne fut pas tout. Les rois du cortège, doucettement, changeaient de bonnet... inévitable mais désastreux glissement.

Bien que toujours nombreux et à jamais joyeux, les vieux ouvriers, les employés, les gueules marquées du sceau de la vile industrie, tout ce monde là, au fond, ne semblait plus trop y croire. Ils étaient venus pour se réunir, ne pas se sentir trop seuls. Ils étaient venus pour faire comme d’habitude. Peser sur quoi, peser sur qui ? La routine prenait des airs de combat perdu pour les anciens syndicalistes, pour les lucides travailleurs en lutte. Dix, vingt, trente ans que certains criaient leur inquiétude, leur colère, levaient la pancarte pour signaler leur présence. Et rien que de la saleté, des chiffres et du global abstraits qui progressaient toujours et partout. Personne alors ne s’étonnera de l’exponentiel dépit. La plupart avait compris qu’aucun des membres du Guignol’s band qu’ils avaient élu, ne pouvait influer sur quoi que ce soit, ni sur les quotidiens ni sur la décence. Des représentants de commerce, voilà qui ils étaient, ces animaux de pouvoirs. Ça se sentait, leurs chants anciens, du rouge avaient rosés et sauf quelque uns, ouvriers, employés, jeunes comme vieux, hommes et femmes étaient frappés du fer brûlant de l’abattement, syndrome du nouveau siècle, terrible mais tellement humain.

Ainsi, peu aptes à agiter la compagnie d’un optimisme débordant, les français gueulards et insoumis, peuple en lutte de la veille, avaient légué hargne, vigueur, et microphones à la jeunesse inculte et braillarde…Eux n’y comprenaient rien mais désiraient, ardemment, rependre le flambeau, pour la forme surtout, pour l’esthétique de la révolte, tellement bien notée par les jurys de la bien-pensance. Et chaque organisme avait recruté ses jeunes, la relève, pour mettre le feu, haranguer les foules, lâcher des ballons. Le fond de l’air est rouge messieurs dames ! rouge comme le nez de ces nouveaux clowns : les jeunes rebelles qui chantent faux aux hauts parleurs, faux dans leurs cerveaux et faux dans leurs cœurs. Des lycéens, des étudiants, à profusion, trop contents de leur cirque récent, s’étaient invités à la fête, pour parler de révolution, de Che Guevara…et surtout de pouvoir d’achat. Bien sûr, eux aussi avaient le droit d’être inquiets, mais leurs inquiétudes sentaient trop la teuf, l’illettrisme et la transcendance par le portefeuille pour qu’elles ne paraissent honnêtes et justes. Qu’il va être majestueux le grand soir avec pareils citoyens ! Déprimant de les voir s’agiter ces nouveaux experts de la lutte en plastique, vraiment.

Peut être suis-je un peu raide et partiel ? peut être finalement leur ressemblais-je naguère ? Peut-être aussi se réinventeront-ils ? Peut-être apprendront-ils à regarder autour, à regarder autre chose que le nombril d’une seule jeunesse. Je n’en sais rien. Le clairvoyant dirait que non, trop intoxiqués ces bougres. L’optimiste dirait que c’est une phase d’adaptation, qu’ils liraient plus tard. Le révolutionnaire les guillotinerait tous, les uns après les autres. Mais trêve de commentaires, le fait est qu’hier, ceux là m’ont sacrement gonflé puis gentiment désespéré.

jeudi 29 janvier 2009

brute incursion (4/5)

Brute Incursion (4/5)





J’ai mal aux reins, je repose le casque. Les gens parlent fort, la lumière m’agresse. Putain, j’ai mal au crâne. J’essaie de retrouver la sortie mais suivre le sens établi devient difficile. Je regarde furtivement les jolies fesses d’une femme que je décide de suivre, comme un repère. Pas trop longtemps.

A gauche des images agressent le monde autour. Des dizaines d’écrans plats, lcd, plasma, dolby etc. Je ne comprends pas les termes. Le même programme est diffusé sur chaque téléviseur. Une blonde marche sur un décor de synthèse tout blanc, en plastique. Vidéo gag. Je m’arrête devant le plus grand, un samsung. L’image est nette, la couleur saute aux yeux. Un enfant lance une pomme dans la tête de son père, on s’esclaffe. Je regarde le prix. Ah oui quand même. Puis je me sauve.

Il fait meilleur dehors, l’air y plus frais, plus respirable. Encore des jeunes qui moisissent avec leur téléphone et leur coca. Dans le coin, il y a un clochard. Il dort, il n’a rien dans sa casquette. Je traverse la place, j’évite des gamins, un jeune me demande une cigarette. Je la lui donne, mon paquet est plein. Fait chié. Il me dit du bout des lèvres :

- Respect… en tapant son poing sur sa poitrine.

Je file. Il y a trop de monde, j’en ai assez. Je croise une connaissance qui ne me voit pas. Tant mieux. On me tend un papier, je prends. Une offre, Nokia que je jette plus loin. Allez encore une dernière librairie. Je pense à une boutique en traversant la route. Une grande affiche indique que Noah aime porter les slips sloggi. Plaqués contre une vitrine, des jeunes braillent et remontent leurs chaussettes. Leur transistor sature. Moi aussi, je vais un peu plus loin.

Une grande affiche indique bas prix sur la nespresso. J’ai mal aux jambes. Un répit s’impose, cinq minutes. J’allume une cigarette et je regarde passer les gens. Un gros mange un sandwich, il transpire en même temps, la mayo coule. Des couples passent. Beaucoup de polos rayés sous les manteaux. Un gars a mis le même que sur l’affiche derrière. Promo chez Célio. Ils portent tous des sacs, des petits, des gros. Que des bariolés. Zara, Séphora, Virgin entre autres. Les femmes ont souvent des chaussures pointues, des converses ou des ballerines. Beaucoup de bottes aussi, certaines claquent plus que d’autres. Ça m’est désagréable. Un groupe de jeunes fait un tour. Encore de la musique forte. Je regarde ailleurs. En passant, le plus petit me demande une clope. Je la lui donne. Il l’a met derrière son oreille puis s’en va. Quelques uns mangent des chouros. Mon coin pue la pisse. J’écrase ma clope. Je file.

J’entends une mélodie. Elle vient de la place derrière. La librairie doit être par là. Je tourne. Devant un grand centre commercial des péruviens jouent du pipo. Les enfants sont contents. Un bruit de pétard me surprend. Le petit garçon derrière moi se met à pleurnicher. Son ballon flunchy vient d’exploser. Je continue derrière l’office du tourisme. Je cherche.

mercredi 28 janvier 2009

dialogues de connes

Dialogue de connes…



Topo. Nous étions trois dans le bureau. Je n’avais rien à faire d’autre que de lire un peu. Bardamu pourrissait en Afrique dans un village isolé. Dring. Je posai mon bouquin pour répondre au téléphone ; Encore une conne de mère d’élève qui ne comprenait pas pourquoi son fils avait tant d’heures de colle. Diplomate, je lui expliquai brièvement. Au moment de ré-enclencher la lecture, alors que l’une de mes collègues s’en foutait partout d’éplucher son fruit, l’autre entama la conversation :
- Tiens...j’avais fait un mémoire sur Céline.
- Ah bon ! Sur quoi précisément ?
- C’était sur le rapport qu’il entretenait avec les juifs…
- Ah ! Comme ça… t’avais de quoi dire !

Je sentais qu’elle allait me faire chier.
- Oui, c’est sûr…j’ai cherché les traces d’antisémitisme dans le Voyage…
J’avais bien senti.
- Euh, dans ses pamphlets je veux bien, mais franchement dans le Voyage, si tu focalises là dessus c’est dommage.
- De toute façon, je n’aime pas sa façon d’écrire…
Doucettement, me venait l’envie de la gifler. Je me contins. Elle reprit :
- Trop haché, sans liant, trop cru…Et puis ça suinte la haine à chaque page.
- Au contraire, c’est cette force qui en fait un immense écrivain, un artiste…

Pendant que nous discutions, la troisième collègue, l’étudiante en psycho, se dépatouillait comme elle pouvait avec son fruit. Elle entendait par bribes ce qu’on racontait et décida d’intervenir.
- Vous parlez de quoi ?
- De littérature, de Céline.
- Ah, je connais pas. Elle a écrit quoi ?

L’autre lui expliqua. Moi, j’avais envie de rire. Et de pleurer aussi, je ne savais pas. J’avais surtout envie de fumer une clope.
- Je vous laisse…



mardi 27 janvier 2009

brute incursion (3/5)

Brute incursion (3/5)



M’y voilà. L’hyper centre. Ça grouille. Des couples et des groupes s’activent de partout. Ça ressemble à une parade immense. Une partie de la foule stagne, surtout devant la Fnac. Les rendez vous semblent s’y être donnés. Des filles jactent, elles crient fort, elles mangent des glaces et des pizzas pas chères. Elles boivent du coca avec des pailles, des milk-shakes aussi. Des gars blaguent, ils s’insultent pour rigoler, se recoiffent, comparent leur tee-shirt. Au téléphone, ils se cherchent. En passant, je les entends : T’es où ? Ils disent souvent. Ils tournent en rond, ils ont l’air d’aimer ça. Puis ils vont rejoindre les autres, en meute toujours.

Ça m’étonnerait qu’ils l’aient. J’essaye tout de même. La Fnac. Je monte par l’escalator puis je me faufile. Mes épaules en touchent d’autres, je suis pressé. Sur des plots, enfants et adultes lisent des bandes dessinées. Je ne parviens pas à trouver le bon rayon. Je m’énerve un peu avant d’aller voir le vendeur, assis derrière son comptoir. Putain. La queue ! J’attends calmement mais sur la gauche on tente de me doubler. Je m’avance. L’employé demande :

- C’est à qui ?

La vieille dit :

- Je crois que c’est à moi.

Je laisse filer. Salope. J’attends encore cinq minutes que vienne mon tour, puis j’expose ma requête. Le vendeur ne connaît pas et me fait répéter :

- Qui ?

Je répète, j’épelle. L’inculte. Aucune trace de l’auteur.

- Tant pis… merci, au revoir.

C’était prévisible.

J’y suis, j’y reste un peu. Je redescends aux dvd. Il y a des promos, des belles remises. Des coffrets et des lots de deux de la Warner bros, surtout des films américains. Je regarde les nouveautés mais pas grand-chose ne m’intéresse. Je voudrais passer. Il faut se faire une place, jouer des coudes. Je m’exprime :

- Pardon…pardon !

On ne me répond pas. Aux bras d’une fille rondelette, le gars en maillot de l’O.M sent la transpiration. Ils ne bougent pas. Je force le passage puis je passe devant les séries. Des flics, des médecins, des avocats, des voyous, américains encore. Je survole, je ne suis pas adepte. Au rayon derrière, il y a moins de monde. Je gratte dans les documentaires. On y relate l’Histoire, des drames et des épopées. Des morts et de vieux personnages figurent sur les boîtiers. J’ai envi d’en acheter un. Je me raisonne. Il fait chaud, j’ai mal à la tête et je souffle.

De la foule, encore plus, remue vers les bacs à disques. Sur un présentoir, le dernier disque de Cali, EMI France se vend à 14 euros. Gros con. Des groupes d’adolescents se massent autour. Plus loin, des jeunes en survêtements fouillent au rayon rap et hip-hop. Ils parlent forts. Le vigile est prostré dans un coin et les surveille. J’aperçois deux jolies filles. Un peu d’espace là-bas Les gens y sont plus vieux. Je m’arrête devant une borne qui propose du gratuit. Une compilation de musiques classiques. Je mets le casque, j’expire, j’écoute.




Découvrez Cristian Mandeal!




lundi 26 janvier 2009

prophétie...

Pensée fondamentale d’une civilisation de commerçants

.


On voit maintenant se former, de différents côtés, la civilisation d’une société dont le commerce est l’âme tout aussi bien que l’émulation personnelle était l’âme de la civilisation chez les anciens grecs, la guerre, la victoire et le droit chez les romains ; Celui qui s’adonne au commerce s’entend à tout évaluer sans produire, à évaluer d’après le besoin du consommateur et non d’après son besoin personnel ; chez lui la question des questions, c’est de savoir « quelles personnes et combien de personnes consomment cela ? » Il emploie donc dès lors, instinctivement et sans cesse, ce type d’évaluation : à tout, donc aussi aux productions des arts et des sciences, des penseurs, des savants, des artistes, des hommes d’état, des peuples, des partis et même d’époques tout entières : il s’informe à propos de tout ce qui se crée, de l’offre et de la demande, afin de fixer, pour lui-même, la valeur d’une chose. Cela, érigé en principe de toute une civilisation, étudié depuis l’illimité jusqu’au plus subtil et imposé à toute espèce de vouloir et de savoir, sera la fierté de vous autres, hommes du prochain siècle […]


Friedrich Nietzsche. Aurore, pensées sur les préjugés moraux n°175.

dimanche 25 janvier 2009

brute incursion (2/5)

Brute Incursion (2/5)




J’entrevois la place de la Poste. Au milieu des arbres, des parents surveillent leurs enfants qui s’agitent et tournent en rond sur un vieux carrousel. Les chevaux sont usés. Je souris à une mère, elle m’ignore. Je continue.

J’ai besoin de cigarettes. Merde, j’ai pas assez. Il n’y a pas de distributeurs par ici. Plus loin j’aperçois une Caisse d’Epargne. Je retire. Ça ne fonctionne pas. Je recommence. C’est long. Un robot doit vérifier si j’ai assez. C’est bon, je me dépêche de ranger mon billet, on ne sait jamais. Je reprends la marche, plus vite encore.

Au Pmu, on y vend aussi des clopes. Il y a beaucoup de monde dans cet endroit. Des jeunes, des vieux, des hommes uniquement. Ils ont chacun un papier dans les mains et s’excitent devant la course. Je ne comprends pas tout, on y parle plusieurs langues. J’achète un paquet de Marlboro. Je file.

En voilà une. A cinquante mètre il y a une première librairie. Je passe devant un arrêt de bus. Une grande affiche indique que l’ami ricoré est notre meilleur compagnon du matin. Je continue. Je crois que j’y suis. La rue est bondé. Se croiser devient parfois délicat. Merde ! Pas lui ? Si…Je rencontre ce regard familier. Trop tard. Il me dit :

- Alors ?

Alors, Je lui raconte la vie des autres. Pendant dix minutes il me questionne. Puis il repart dans l’autre sens, sacs Lafayette et Go Sport en mains. Qu’il est pénible.

J’entre chercher mon bouquin, je monte à l’étage. Il fait très chaud là-haut. Je me renseigne. La fille bidouille sur son ordinateur, elle est jolie mais ne sourit pas. Elle me dit :

- Non, j’ai pas.

Je pince mes lèvres et je lui réponds :

- Tant pis…merci, au revoir.

Je retourne au milieu des gens.






samedi 24 janvier 2009

dans le vent

Dans le vent



Ça souffle sec dans le sud-ouest. Les arbres se cassent la gueule, la mer se déchaîne, les bateaux se renversent, les trains restent à quai, l’électricité vacille et les toitures s’envolent. Clairement la tempête enfante la panique. Pire que la panique, a-t-on appris, quatre personnes ont trouvé la mort – notez l’élégance de cette expression reprise en cœur par toutes les chaînes d’info – sur les routes des Landes et de Gironde. De pauvres aventuriers qui ont bravé le vent ont été punis par quelques lâchers de pins bassement tombées du ciel. Une crise cardiaque aussi. Evidemment, dans les médias, on sort la grosse armada. Caméras dans tous les patelins, dix reporters par clochers ; On veut du témoin, du vrai, du brut. Du vieux qui gueule, de la ménagère affolée, de l’expert qui explique vaguement. Ainsi Josiane nous raconte comment la tuile de son voisin a atterri dans son potager. Le maire d’un petit village nous dit que de mémoire de maire de petit village, il n’a jamais vu ça. Quant à monsieur Lajoie, il attend prostré dans son fauteuil que la lumière revienne. Le pauvre, il n’aura pas même la chance de se voir à la télé. Espérons qu’en grands professionnels, les journalistes de Bfm lui feront parvenir une cassette. Puis les pompiers expliquent un peu leur boulot et ce qu’il leur reste à faire il faut enlever les arbres des routes, ça gêne au milieu. Enfin, un « spécialiste » de la météo rassure tout le monde en expliquant la formation du phénomène…Alors en fait c’est la cyclogénèse qui crée un important gradient de pression atmosphérique…En général, le brave termine toujours par un petit couplet sur le réchauffement climatique qui culpabilise un peu plus le spectateur dérouté. Bien calés dans leur fauteuil, les présentateurs de journaux nous font leurs têtes de chiens malades pour lancer les sujets, parlent de records et de phénomènes rarissimes puis, plus guillerets, terminent sur une note d’optimisme :

Demain dimanche, heureusement pour les pauvres malheureux, le président Nicolas Sarkozy sera en Gironde, accompagné des ministres Michèle Alliot-Marie (Intérieur) et Michel Barnier (Agriculture) ainsi que des secrétaires d'Etat Dominique Bussereau (Transports) et Chantal Jouanno (Ecologie).
Voilà qui change tout ! La dream team va venir constater, parader, prendre le ton grave, digne, parler au nom de la France, se prendre pour De Gaulle, évoquer les droits de l’homme, la prise de la bastille, Jean Moulin peut être. Peut importe le sujet, il faut du grandiloquent. C’est que cette formidable équipe de clowns, dirigé par un agité sous amphéts, dispose d'une faculté hors du commun à traiter avec vigueur et détermination tous les problèmes de clébards qui mordent, de bébé congelés, de bactéries dans le saint-Marcellin...du très lourd. Alors les caprices de la météo, quelle aubaine ! Soyons sûrs que dès demain, des mains seront serrés, des fonds seront débloqués, des lois même seront promises. Surtout, il y aura des vidéos, des photos pour retranscrire tout ça. Et beaucoup de compassion. Le petit Nicolas va s’indigner et s’exprimera, le tic convulsif, le poing serré…

La tempête, c’est quoi la tempête, et bien je vais vous le dire ce que c’est la tempête. La tempête, c’est à cause des régimes spéciaux des cheminots…Mais pas seulement. La tempête, c’est aussi à cause des arbres qui tombent. Un arbre qui tombe, c’est scandaleux un arbre qui tombe, c’est pas normal. Les arbres – n’ont – pas – à – tomber. Alors pour tout arbre qui tombe celui qui aura planté la graine sera sévèrement puni... Je préconise de couper tous les arbres pour qui n'aient plus d’arbres qui tombent. Et le vent, parlons en du vent. Le vent – n’a – pas – à - souffler. Je me chargerai personnellement, et ce dès demain, de mettre en place un grand plan anti-vent. On mettra des radars à chaque éolienne.
Quelle prestance, quelle carrure, quel homme courageux. Et les chaînes de télé ne manqueront pas de nous diffuser en boucle l’évènement. Je t’aime mon Nicolas. J’ai hâte d’être à demain !

brute incursion (1/5)

Brute Incursion (1/5)



La clé a du mal à tourner. Aujourd’hui, il faut que je trouve un livre, un bon, un rare - pas le temps de commander. Sûr que l’époque ne m’a pas enseigné la patience, je veux tout et tout de suite, alors j’y vais. Putain de serrure, je force encore et enfin la clé tourne. Un jour, elle me restera dans les doigts. Il y aura du monde et pas que du beau, c’est évident. Tant pis, je sais que je vais en baver, je n’aime pas trop ça, les bousculades. Et le décor m’agace aussi.

Le grand boulevard n’est pas trop bondé, j’évite les trottoirs - les chiens y défèquent. Je prends la contre-allée après le carrefour. A cent mètre, le kebab est plein. Ça parle fort, ça mange gras, quelques-uns jouent aux cartes. Ça pue en dehors et le patron de l’Izmir fume une clope.

Plus loin, à travers la baie vitrée, je jette un rapide coup d’œil sur la dame du casino, la même que d’habitude. Elle se ronge les ongles, pas de clients. Aucun commerce de chiffons sur ce grand boulevard, que de la bouffe et des assurances, rien qui n’attire personne un samedi. L’épicier du coin trouve le temps long lui aussi, il remet en place des paquets de biscuits, arrange son étal de fruits plus jolis.

Voilà la station du tramway qui se profile, la foule commence à se densifier, ça bouge. Il faut regarder devant soi, user de prudence pour croiser les gens, les collisions sont fréquentes. Pas encore trop de monde, nous sommes à l’arrière du front. Je suis vigilant.

Une grande affiche indique le Quick à 2 minutes. A côté, des gens s’impatientent et s’énervent. Les trams arrivent déjà trop remplis. J’y vais à pied.

Pressé d’en découdre, je marche rapidement. Il fait un peu froid. Une roumaine me sourit à l’angle d’une rue parallèle, elle réclame quelque chose.

- Argent.

Je lui réponds :

- J’ai rien.

Elle insiste. Elle me dit :

- Mangé enfants.

Ses dents pourries sont effrayantes. Je passe.




jeudi 22 janvier 2009

réflexion d'un vieux libéral

Réflexion d'un vieux libéral




La variété c’est de l’organisation


L’uniformité c’est du mécanisme


La variété c’est la vie


L’uniformité c’est la mort




Benjamin Constant. Extrait de De l'esprit de la conquête et de l'usurpation






mercredi 21 janvier 2009

Le repas de noël (8/8)

Le repas de noël (8/8)




Chantal semblait bien désespérée que cette brochette d’abrutis, ces VRP du futur, encore seulement vendeurs de fringues, ne soient les ultimes résistants de cette calamité de soirée. Sans doute n’avait-elle pas imaginé que Rachid eût imposé ce rythme stupide, cette misère électronique. Peut être avait elle pensé, naïvement, retrouver les envoûtantes mélodies orientales dont elle avait pu s’imprégner un été, au club diététique de Djerba. Les festivités prenaient l’allure d’un gouffre sans fond pour madame Pfein et ses excursions régulières, sous la fraîche bruine du parking, en témoignaient largement. Impassiblement, j’attendais, quant à moi, comme un coup de sifflet final qui avait bien du mal à venir. Le porte clé au bout de l’index, suintant l’alcool gras, Stéphane, grand seigneur, prit la peine de passer me voir, Eh, mon gars je te ramène ? Quoiqu’extrêmement déprimant, le cours de cette soirée brûlante n’avait pas consumé entièrement mon désir de vivre encore un peu. Non, c’est gentil. Et mon chauffeur s’en alla, seulet, jouer à la loterie avec son volant et sa lucidité. Terminé le vacarme ! Rachid remercia l’assemblée. Vous avez été terribles ! Ça bourdonnait strictement dans les oreilles mais l’instant fut jubilatoire. Chantal avait retrouvé un sourire léger. Elle positiverait ; Les clichés, numérisés, nous feront croire que l’instant fût délicieux. La laideur camouflée par la pose était immortalisée. Progrès ! Ils recommenceront. Pour dernière intervention, Roland, tout suant de s’être agité, nous raccompagna tous sur le parking. Au plaisir de vous revoir. Il pleuvait encore un peu.


Devant le cabaret, salutations et remerciements éclatèrent promptement. Beaucoup titubaient ; D’autres organisaient le retour. Aux propositions gracieuses de quelques collègues, je répondis par la négative. J’ai besoin de marcher. Adieu, affreux camarades ! La quiétude des flaques fut brusquée par un démarrage groupé et je vis s’éloigner une traînée d’éclats rouges. Désormais m’attendait la solitude du marcheur de fond.

Le long de la nationale, ivre du vent qui me faisait chialer, je replongeai dans l’abjecte soirée pour mieux pouvoir la vomir, pour mieux faire abstraction du temps. J’avais été une petite portion individuelle, fade, insipide et lâche aussi - Adieu Madame Pfein, adieu Paulo, Adieu infâme patron, adieu tous les autres – mais dans mon imaginaire en peine, Je vous aurais allégrement déféqué à la figure, avant de partir ! Certain que Je n’y reviendrai pas. Aucun des compagnons de cette soirée malsaine n’avait trouvé grâce à mes yeux. Ô petit juge aigri. Ni par là-haut, ni par là-bas ; Je n’arrivais pas à me situer dans le baromètre de cette médiocrité. Voilà qui était certain : je haïssais l’homme moderne ; Je ne m’aimais pas beaucoup plus. De ces pitreries je n’arrivais à percevoir le charme, à croire encore un peu à la spontanéité des mouvements et des rythmes, des humeurs et des discussions, à l’authenticité des hommes. Je n’y voyais que des cerveaux lobotomisés par l’affolante marche du monde, par l’exaltante nouveauté de la dernière innovation ; Je ne voyais que science et technique là où mes tripes voulaient sentir l’art de vivre et la mémoire. Tout allait trop vite en ligne droite, le sens semblait bien établi, irréversible ; Un seul objectif prévalait, celui de la course nerveuse vers ce mur épais qu’on commençait à apercevoir au loin. Je ressentais la fin de l’histoire, la panique des êtres vivants qui n’avaient plus grand-chose à inventer sinon à dupliquer l’authentique pour en faire du vendable. Ça puait l’impasse, la voie sans issue. Et les hommes tombaient toujours plus nombreux de la maladie du monde, et plus la gangrène progressait, plus ils l’aimaient leur pourriture. Ainsi le cercle s’agrandissait irrémédiablement. Certains l’avaient compris et souffraient en silence, d’autres plus chanceux ramassaient du bois dans la forêt en écoutant siffler les oiseaux.

Dans le froid, le jour se levait. La ville, grise et brumeuse, m’offrait sa sale haleine du matin. Il me restait encore une heure de foulées émoussées à dégurgiter ma haine. Mais, joliment, j’avais accompli ma catharsis. Ne pas déprimer, non ! Remonter la pente, en cordée de compagnons. Fuir le laid, la mort lente, les cracks et les camés du monde ; A mi hauteur, je resterai.

Ma rue était déserte. J’avais envie de dormir.





mardi 20 janvier 2009

parousie

Parousie






Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre
Et en Barack, son Fils unique, notre Seigneur

Je veux me vêtir de son linceul sacré, de son suaire floqué.

Et aux échoppes, j’acquerrai tasses, layettes et milliers de clichés

Je le loue, le remercie de m’orienter au repentir

Et de mes pêchés, et de ceux de mes aïeux ;

De ne point avoir ajouté foi, au saint métis, Rois des rois.

Puisse t’il me pardonner, de sa main céleste me purifier.

Ô fils de l’homme, sauveur Barack

De son cœur libéral, de ses créances dorées, je fais fi

Comme des pétroliers, armuriers, ses amis.

Acteurs, chanteurs, éternels parangons

J'attendrai toujours d'eux de prendre la leçon

Je vénère ces apôtres, en ronde, qui le prient

aussi chantent sa louage jusqu'au bout de la nuit.


Je crois en toi, Deus ex machina, soulage mon désespoir

Je crois en toi, Sage et noble Obama, avant tout tu es noir.


Ainsi soit-il.




lundi 19 janvier 2009

Le repas de noël (7/8)

Le repas de noël (7/8)





Les résonances du piano électronique n’en finissaient plus de nous picoter les tympans quand Roland le maïs soufflé annonça l’ultime chanson de Julia Vegas : tout, tout, tout est fini entre nous. Soulagements et boniments accompagnèrent alors les applaudissements d’une assemblée fatiguée. J’ai plus la force du tout. Paulo alluma son briquet et s’en fut terminé d’une première partie de soirée à la désagréable impression de déchéance. D’y croire et d’espérer. Bientôt, d’autres abominables allaient entrer sur la scène cradingue. L’heure sonnait claire et nette pour les ambitieux ; Ils allaient pouvoir se délecter de l’officiel bon goût, le hype ; Celui, en rythme régulier et rapide, de leur machinerie mentale.


Après la bûche et le mousseux trop chaud, DJ Rachid devait montrer l’étendue de ses inspirations musicales ; Une limpide invitation à débrancher les cerveaux. Dès lors, plus possible de s’exprimer autrement qu’avec les mains ; Les décibels, offensifs, occupaient le créneau de la parlotte et tout autre langage que celui du corps devint proscrit. Place aux jeunes ! Ostracisés les arthrosés, les mous du genou, les cérébraux. Bougeons les jambes, disons « oui » de la tête, remuons cheveux et fesses. Aux douloureuses facéties péteuses de Paul Henri, succédèrent les bits et les scratchs d’un disque-jockey surexcité, tricot fuchsia, tignasse ultra gominée : Are you ready ? Ça va être la méga teuf, ce soir ! Cracha t-il dans son micro. Boum, boum, boum. A la première note envoyée, quelques-uns se hâtèrent de prendre congés. Monsieur Sanchez et l’équipe du nettoyage saluèrent poliment Chantal Pfein ainsi que la table du directeur avant de déguerpir de ce terrier abjecte. Jean François, le doyen, terrible responsable du rayon pantalon, peu amateur du doux murmure hip-hop électro - moins flatteur encore quand il était glavioté par un arabe - fit de même et s’extirpa du lieu, sa bobonne à la main.

Comme un seul homme, jeunesse arriviste et mimétiques seconds couteaux se ruèrent astiquer les planches du parquet luisant, de leurs semelles noires et de leurs talons hauts. La foule joyeuse, automate perfectionnée, se trémoussait, clinquante, sur un rythme tout en sons saccadés, au milieu de lumières tourbillonnantes et de fumigènes qui agaçaient les yeux. Je constatai, penaud, la brusque métamorphose des raisonnables en créatures bondissantes ; Crapoteux crapauds en suaient du crachin. Infernal rythmique du travail à l’usine, incroyable marche d’une Wehrmacht enthousiaste, les pavloviens délirants aboyaient de plaisir, et à la truelle, Rachid, les recouvrait de sa pâté divine. Soudainement, un des canidés m’attrapa par le col de la chemise. Stéphane, ivre et tanguant, insista lourdement pour m’emmener gesticuler avec la meute braillarde. Il y tenait aussi fort qu’il s’agrippait à moi, au prix de la couture d’un côté. Stéphane l’incurable, je te hais, toi et tes manières ; Je vomis le peuple si tu en es ! Traitre. Impérissable de couardise, je grimaçais légèrement quand une telle insistance aurait largement mérité un beau revers lifté dans sa face distendue. Quoique je simulais – crispé de l’intérieur – une sérénité relative, choix ulcéreux s’il en était, il me fallut un certain temps pour renvoyer le collant plaisantin à sa fougue de danseur amateur. Va chercher la baballe mon Stéphane, va danser. Laisse papa jouer avec son quignon de pain. Désormais seul à la table, j’entamai une étude comparative de qui venait d’être le plus dégueulasse à l’épreuve du manger proprement : palme à Paulo encore une fois. Nappe déchirée, mandarines dans la cruche et béchamel un peu partout. Puis trop las de ma tendre vacuité, et sans doute un peu gêné, aux chiens, de tourner le dos, je fis face à la piste, un verre rempli, le cœur serré.

Qu’ils étaient pathétiques les champions du bon goût qui moquaient l’endroit et la fadasse chanteuse, eux qui désormais se désarticulaient tels des asticots dans un générateur électrique, se branlant les uns les autres sur leur musique branchée. Un et zéro, les temps modernes, sacrés charlots ! Je multipliais dans ma tête migraineuse, les collages d’idées en vrac. Madame Pfein, prostrée dans un coin, avait perdu la main. Pas de rock, ni de twist, ni même de danse des canards. Les boum, boum, boum s’intensifièrent encore et après quelques claquettes exécutées pour la forme – nous aussi on peut suivre l’air du temps – les quadras fatigués s’en allèrent de concert. Seuls les plus branchouilles – invétérés jeunes cons, vénérés et imités par leurs pâles copies – gigotaient de plus belle. Des binômes de baise se formaient grossièrement ; A la drague du dance-floor, les mouches à string avaient changé d’ânes et Paulo l’amuseur dut laisser place aux Roméo du samedi soir – chemise ouverte, ray-ban, tatouages – qui venaient de lever quelques options de culbutes pour les sièges en cuir de leurs Audi CC. Manifestement, la magie du prestige social opérait. D’aucunes se voyaient déjà en gentille petite boniche d’un futur illustre responsable de grand magasin. Prestige social disais-je ! Beaucoup renoncèrent – trop saouls ou trop pauvres – et la masse des affalés, sur les sièges, fleurit.