mercredi 14 janvier 2009

Le repas de noël (4/8)

Le repas de noël (4/8)


Pour premier soulagement, Chantal m’avait épargné Stéphane ; Pas de trace de son petit nom aux côtés du mien. Il irait monologuer bagnoles à d’autres et plus loin. Mais évidemment, au tirage, au sein d’une si complète équipe d’énergumènes, il m’eut été fort heureux d’éviter un des nombreux gros lots. En quelques lettres joliment dorées, son lourd sobriquet ornait l’étiquette du centre. Déjà bien las je pris acte de la nouvelle : j’allais sous peu, devenir matelot dans l’équipage de Paulo, comme on aimait à abréger son nom ; Champion du karaoké, lauréat de la blague salace. Une fine odeur me chatouilla alors les narines. Ça sentait très fort la longue agonie de l’intelligence.

Peu enclin - certainement par nature - à ce genre de festivités – ô céleste misanthrope orgueilleux – le flot des dernières nouvelles, abruptement, avait anéanti mes bonnes intentions de départ. J’avais fantasmé mon comportement, anticipé la marche des évènements ; Je me voyais déjà négociant ma promotion après avoir brillé de toute mon éloquence puis impressionné la galerie lors de ce dîner majestueux. Quelle clairvoyance ! Tu as un potentiel certain. Tu passeras me voir dans mon bureau. J’eusse rêvé un temps de grimper là-haut, à l’étage, chez les décideurs, faire le larbin pour l’un d’entre eux, sauter une case et ambitionner sournoisement d’accéder à la suivante. Mais, présomption crispante, le pire des détails qui irrita mes nerfs fût cette projection immédiate que je m’imposai, dans les affreux cerveaux de cette bande de minables, à qui je prêtai sur le champ, du haut de leur inculte orgueil, la triviale intention de dédaigner la périphérie de leur cercle abjecte. J’avais été étiqueté autrement, comme une vulgaire chemise soldée. D’emblée, il me paru impératif de mettre un nom sur cette grossière faute de goût : Je haïssais madame Pfein ; Ce serai éternel. Elle, sa bave jaunâtre d’entre les deux lèvres (celles de la bouche), son excessive maniaquerie de ménagère névrosé qui offrait l’étendu de son anxiété à travers tous les détails de son accablante existence. Ardemment, elle désirait partager au moins le temps de ce soir là, son imaginaire de bonheur, celui d’un noël pareil aux magazines qu’elle épluchait, un standard de Marie Claire, exaltant comme un meuble Ikea, un bonheur sectaire ; Sectaire comme un plan de table.


Au cours de l’apéritif, ça blablatait dans tous les sens. De tout, de rien, les deux se confondaient ; Du temps, du boulot, et beaucoup des autres. Certains lynchages verbaux gratinés me venaient aux oreilles lorsqu’en déambulant, je surprenais certaines conversations. Délateurs hypocrites et canailles carriéristes se souillaient mutuellement de leurs verves putréfiées ; Sans doute s’agissait-il du notoire esprit d’équipe tant vanté par les exquis managers. D’aucuns, discrètement, guettaient la prochaine session du serveur accompagné de sa nouvelle fournée de feuilletés au fromage et de ses coupes en plastique chargées de kir au chardonnay. La grosse Maggy importunait jovialement les gens pour qu’ils piochent dans un tas de cartes tandis qu’un grand dadais, déguisé en bouffon, tentait de faire la même chose mais se prenait exprès les pieds dans le tapis. Bâfreurs du buffet et protagonistes mous des cercles de causeries, chacun y avait droit ; Pas de temps mort au cabaret joli ; De la farce, du gag, de la drôlerie en rythme industriel. Le budget du comité n’allait point être entamé par ces viles solennités me répétai-je à chaque répit du cours de ces tristes surprises. Alors fusèrent les réflexions basses, les jugements moqueurs ; Les beaufs enthousiastes en sifflotaient des tympans de ces railleries d’encravatés. La foule plébéienne – dont Chantal, malgré elle, demeurait la plus parfaite incarnation - scintillait de la pupille, jubilait de cette gaudriole de mauvais goût. Quant à moi, amer, je l’étais bien un peu ; Mais il me fallait entreprendre une approche tout en bonne humeur du petit groupe que constituaient mes partenaires de galère, apprivoiser le Paulo pour éviter la casse. Je le connaissais déjà un peu, un bon vivant comme il aimait à se définir, du genre à limiter sa retenue. Aucun risque de névrose chez Paul-Henri ; Il avait dû être copieusement choyé par sa mère pour suinter la confiance en lui à un niveau que jamais, je n’aurais osé imaginer. La confiance en soi brassé à l’intelligence confère souvent au sujet un détestable côté donneur de leçon ; Tu sais bien que j’ai raison. Accompagné de l’ignorance, ô gargousse, cette étrange notion tend à se muer en formidable machine à crétineries doublée d’une disposition certaine à persister dans l’ineptie et dans le rouge des idées les plus creuses. Je développais, confronté à ce têtard décervelé de Paulo, un sentiment étrange de gêne, de supériorité et de pitié. Mais mes états d’âmes importaient peu ; L’affreux qui s’assiérait à ma droite avait déjà entamé le répertoire de ses meilleures boutades et exercé comme une sorte de fumeuse influence sur quelques collègues en état d’excitation avancée. Ding, ding, ding, A table ! La petite cloche de madame Pfein rappela aux derniers récalcitrants, les enracinés du buffet, qu’il était grand temps de rejoindre leur siège. Sainte-Marie mère de Dieu, priez pour nous pauvres pêcheurs ; l’échéance venait de sonner et elle était imparable ; Je devais dans la minute m’aventurer en milieu hostile, enclencher mon corps à corps avec cette saloperie d’assemblée qui allait immanquablement me péguer dans les doigts pendant de trop longues heures.

1 commentaire:

Amiral Potiron a dit…

Suinter la confiance en soi: délicieux concept. On a quand même envie qu'une bande d'ivrognes débarque là dedans pour tout casser...