samedi 17 janvier 2009

Le repas de noël (6/8)

Le repas de noël (6/8)





Bien présent physiquement, Rodrigue avait définitivement quitté le flot amer de la conversation s’il en était ; ça gazouillait dans son imaginaire, son regard évasif en direction du mur en disait long. Les deux jeunes femmes ne savaient plus trop comment réagir, la gêne montait irréversiblement. Aussi, en se forçant quelque peu, elles continuèrent à pouffer bêtement tandis que l’un des trois jeunes comiques s’en alla, chancelant, rendre en bile ce qu’il avait ingurgité d’alcool.

Quant à moi, je n’écoutais plus que par intermittence mes voisins de table ; La mascarade devenait franchement pesante. Je ne supportais pas l’idée d’être amalgamer à ce tout, cette entité de modernes gougnafiers. Qu’ils étaient douloureux les regards poignants dans mon dos tout frissonnant de honte ; Ceux des dominants qui les accompagnaient de sourires trop vicieux pour être bienveillants ; Ceux de la mère Pfein qui respiraient l’exaspération et la crainte aigue que Sieur Paulo et ses compères ne bouleversent plus encore l’ordre de sa chose ; Ceux inquiets de Julia Vegas qui toute plumée de rose commençait à entonner son répertoire : je t’aime, comme un fou, comme un soldat, comme une star de cinéma. Et tous ensemble de beugler comme des bœufs, montant les enchères de la disharmonie ; Et de s’agripper la chemise par la droite, par la gauche en se frottant les épaules ; Faire claquer le déhanché, en cercle impénétrable, chacun sur sa chaise en précaire équilibre. Réfractaire à l’initiative, je fus contraint de virevolter moi aussi, enlevé par l’enthousiasme collectif. Je flirtais avec le sentiment de culpabilité bien que me furent malgré moi infligé ces gesticulations. Un vilain nœud me comprimait le bas ventre ; La sérénité commençait à me manquer. Jamais, autour, personne n’était en mesure de prendre un peu de recul – d’envisager une seconde l’effet de le leur ostensible excitation sur le maigre crédit qu’il nous restait. J’y pensais très fort mais leurs yeux débordaient de slogans d’enfants ; Que les rabats joies nous laisse un peu vivre, criaient, spontanés, leurs grosses prunelles dionysiaques à l’apollon lucide. Je tentais d’oublier un temps la marche funèbre de mon statut social en essayant d’apprécier - exercice délicat – le second plat tout fade bordé d’une vinasse du même acabit. Puis l’appétit me quittait définitivement, lorsque devant mon assiette de champignons à la crème, le spontané Paulo me rappela - à juste titre - qu’ils poussaient sur de la merde dans des laboratoires parisiens. La ronde dansante eut Raison, tout juste après coup, de l’hermétique Rodrigue. Son salut général, quoique ignoré par la troupe en délire, marqua la fin de son calvaire, signifia la force de son mépris. Adieu sots fieffés ! disait, le rictus soulagé, son sourire espiègle. Et moi de garder le silence des lâches, tétanisé par chaque éventualité. Point assez d’éthanol ce soir là pour ouvrir les vannes de mes sentiments turpides, fuir à grandes enjambées ce maudit cabaret, pâle copie des plus infectes plateaux pailletés du tout petit écran. Mais pire que ce spectacle déplorable, c’était de les voir tous, mes satanés collègues, tapotant des mains et raillant la chanteuse à coup de sifflets tranchants et de rires intempestifs qui écorcha encore un peu plus le pourtour de mes ongles. Une surenchère dans la vulgarité qui m’écœurait au point de reconsidérer le cas de cet oiseau rose et dodu piaillant Lara, là-haut sur l’estrade, de lui accorder un timide et miséricordieux sourire. J’avais envi d’aimer Julia, de m’émouvoir avec Chantal, de cracher à la face de ces néo-beaufs sans principe, de l’affreux Paulo et de ses condisciples ; Il me venait comme des élans de chevalier ailé, des restes de catéchisme. Mais pas d’impact sur le réel, la révolte n’était que fantasmée.

Je n’osai à nouveau trop rien dire quand le patron entama un rapide tour de table pour cerner un peu l’ambiance, au besoin calmer l’ardeur de la table des bouffons, mes vilains compagnons. J’espérais encore un brin que mon singulier et exemplaire comportement serait distingué du tout, mais l’oeil électrique du directeur, sans concession, infirma rapidement l’hypothèse. Sèchement mais calmement il nous invita à retrouver notre tranquillité ; Tout doux les petits, il est l’heure d’aller au lit. Il ne me restait plus qu’une ambition modeste : sauver les quelques miettes d’orgueil qui traînassaient encore, simuler un vague détachement quand le grand stroumpf eut donné son auguste remontrance. Charognus imperator ! Le voilà rentrant en scène, le patron-citoyen, donnant ses leçons à quiconque heurtait sa sensibilité ; Et le quiconque ce fut moi : Tu me regardes quand je te parle ! Me lâcha-t-il dans ma face circonspecte. L’enfant qui sommeillait en moi fut réveillé au son cinglant de la casserole. Inutile de se justifier, de se dédouaner de la faute collective, un pardon minable, l’échine courbée, suffirait. Je n’en fis pas d’avantage. Diantre, je sentais, au-dedans, ma fierté s’échappait.

3 commentaires:

Amiral Potiron a dit…

Petit problème de police...les caractères sont un peu petits :-)

schock a dit…

En gros malin, j'ai voulu vadrouiller seul dans l'obscur "html" et je crois m'y être un peu perdu...

schock a dit…

Il semble que je m'y sois retrouvé...