mercredi 21 janvier 2009

Le repas de noël (8/8)

Le repas de noël (8/8)




Chantal semblait bien désespérée que cette brochette d’abrutis, ces VRP du futur, encore seulement vendeurs de fringues, ne soient les ultimes résistants de cette calamité de soirée. Sans doute n’avait-elle pas imaginé que Rachid eût imposé ce rythme stupide, cette misère électronique. Peut être avait elle pensé, naïvement, retrouver les envoûtantes mélodies orientales dont elle avait pu s’imprégner un été, au club diététique de Djerba. Les festivités prenaient l’allure d’un gouffre sans fond pour madame Pfein et ses excursions régulières, sous la fraîche bruine du parking, en témoignaient largement. Impassiblement, j’attendais, quant à moi, comme un coup de sifflet final qui avait bien du mal à venir. Le porte clé au bout de l’index, suintant l’alcool gras, Stéphane, grand seigneur, prit la peine de passer me voir, Eh, mon gars je te ramène ? Quoiqu’extrêmement déprimant, le cours de cette soirée brûlante n’avait pas consumé entièrement mon désir de vivre encore un peu. Non, c’est gentil. Et mon chauffeur s’en alla, seulet, jouer à la loterie avec son volant et sa lucidité. Terminé le vacarme ! Rachid remercia l’assemblée. Vous avez été terribles ! Ça bourdonnait strictement dans les oreilles mais l’instant fut jubilatoire. Chantal avait retrouvé un sourire léger. Elle positiverait ; Les clichés, numérisés, nous feront croire que l’instant fût délicieux. La laideur camouflée par la pose était immortalisée. Progrès ! Ils recommenceront. Pour dernière intervention, Roland, tout suant de s’être agité, nous raccompagna tous sur le parking. Au plaisir de vous revoir. Il pleuvait encore un peu.


Devant le cabaret, salutations et remerciements éclatèrent promptement. Beaucoup titubaient ; D’autres organisaient le retour. Aux propositions gracieuses de quelques collègues, je répondis par la négative. J’ai besoin de marcher. Adieu, affreux camarades ! La quiétude des flaques fut brusquée par un démarrage groupé et je vis s’éloigner une traînée d’éclats rouges. Désormais m’attendait la solitude du marcheur de fond.

Le long de la nationale, ivre du vent qui me faisait chialer, je replongeai dans l’abjecte soirée pour mieux pouvoir la vomir, pour mieux faire abstraction du temps. J’avais été une petite portion individuelle, fade, insipide et lâche aussi - Adieu Madame Pfein, adieu Paulo, Adieu infâme patron, adieu tous les autres – mais dans mon imaginaire en peine, Je vous aurais allégrement déféqué à la figure, avant de partir ! Certain que Je n’y reviendrai pas. Aucun des compagnons de cette soirée malsaine n’avait trouvé grâce à mes yeux. Ô petit juge aigri. Ni par là-haut, ni par là-bas ; Je n’arrivais pas à me situer dans le baromètre de cette médiocrité. Voilà qui était certain : je haïssais l’homme moderne ; Je ne m’aimais pas beaucoup plus. De ces pitreries je n’arrivais à percevoir le charme, à croire encore un peu à la spontanéité des mouvements et des rythmes, des humeurs et des discussions, à l’authenticité des hommes. Je n’y voyais que des cerveaux lobotomisés par l’affolante marche du monde, par l’exaltante nouveauté de la dernière innovation ; Je ne voyais que science et technique là où mes tripes voulaient sentir l’art de vivre et la mémoire. Tout allait trop vite en ligne droite, le sens semblait bien établi, irréversible ; Un seul objectif prévalait, celui de la course nerveuse vers ce mur épais qu’on commençait à apercevoir au loin. Je ressentais la fin de l’histoire, la panique des êtres vivants qui n’avaient plus grand-chose à inventer sinon à dupliquer l’authentique pour en faire du vendable. Ça puait l’impasse, la voie sans issue. Et les hommes tombaient toujours plus nombreux de la maladie du monde, et plus la gangrène progressait, plus ils l’aimaient leur pourriture. Ainsi le cercle s’agrandissait irrémédiablement. Certains l’avaient compris et souffraient en silence, d’autres plus chanceux ramassaient du bois dans la forêt en écoutant siffler les oiseaux.

Dans le froid, le jour se levait. La ville, grise et brumeuse, m’offrait sa sale haleine du matin. Il me restait encore une heure de foulées émoussées à dégurgiter ma haine. Mais, joliment, j’avais accompli ma catharsis. Ne pas déprimer, non ! Remonter la pente, en cordée de compagnons. Fuir le laid, la mort lente, les cracks et les camés du monde ; A mi hauteur, je resterai.

Ma rue était déserte. J’avais envie de dormir.





2 commentaires:

Amiral Potiron a dit…

Une remontée possible, hors de la laideur...il faut versifier comme disait l'autre.

Fond tout à fait à mon goût. Forme qui demanderait une battue sans quartier contre les vilaines fautes qui traînent ici ou là (on ne voit que celles des autres)...Mais une fois ces dernières traquées et éliminées, voila un texte qui selon moi serait parfaitement inattaquable.

schock a dit…

Merci Amiral.