lundi 12 janvier 2009

le repas de noël (2/8)

Le repas de noël (2/8)


C’était marqué sur le prospectus. Le cabaret joli avait la joie, cette année, d’accueillir une cinquantaine de nos salariés. Peu avait décliné l’offre. Mon éternelle lâcheté m’avait conduis à accepter avec le sourire l’invitation du comité ; Il en allait de mon statut au sein de l’entreprise : j’étais jeune et dynamique, j’allais de l’avant, je prenais des initiatives, j’aimais m’entourer des autres. Il me fallait confirmer les balivernes vomies à la face de mon directeur lors de notre premier entretien, quand l’art de la fumisterie m’avait assuré succès. Ce besoin d’être à la hauteur des mensonges de l’embauche relevait de la plus grande nécessité et presque à mon grand étonnement, cette taquinerie mentale rafistola les fêlures de mon enthousiasme. C’était le temps de l’attente, dans la caillante, au rond-point du doute.

Je fis route dans la toute nouvelle Mégane coupée de Stéphane, un abruti complet qui avait tout de même eut la bienveillance de ne pas me laisser geler sur le lieu de rendez-vous des sans véhicule. Après quelques dix bornes à résumer le dernier Auto-plus puis à me bassiner avec les atouts de sa voiture - du prix des jantes chromées aux performances du carburateur - je compris que Stéphane n’avait pas volé sa réputation. Doublement triste imbécile quand il accéléra soudainement sur une étroite route de campagne - interminable raccourci - pour que je m’imprègne plus en profondeur de la douce mélodie du moteur. Mon gars, tu vas kiffer. J’étais prévenu. L’envie de pisser grimpait dangereusement comme l’impérieux besoin de calmer l’ardeur du pilote dans les nombreux virages humides et serrés. Les traits crispés de mon visage blêmissant, pensais-je naïvement, suffiraient à faire passer le message. Grossière erreur d’appréciation ; En retour le fiévreux Stéphane m’envoya des regards tout nets de sens : tu vois mon gars, moi, je suis pas une fiotte semblait-il me dire de ses yeux foncés en astiquant son pommeau carbone. Je ne pipai finalement mot en subissant lâchement cette virée détestable. Mourir en compagnie de ce crétin, qui plus est écrasé contre un platane, eût engagé ma réputation voire peut-être même ma postérité. Peur et honte se mêlaient curieusement. Mais rien n’arriva. Au loin, une silhouette s’agitait sous la flotte.

La mère Pfein attendait au croisement de la route et d’un petit chemin boueux. Elle faisait de grands signes, gesticulait de toute son énergie pour montrer la voie à chaque embarcation. Une pluie violente et glacée, qui venait de ruiner sa mise en plis, ne l’empêchait nullement d’arborait un large sourire faussement joyeux, dissimulant l’anxiété. Trois ballons remplis de gaz, point encore crevés par l’assaut des lourdes gouttes, tournicotaient sur le devant du portail et donnaient le ton de la soirée : couleurs, joie et allégresse. Bienvenus aux heureux veinards. Le cabaret joli trônait, fier comme une mouche sur sa merde, au milieu d’une vaste zone industrielle. Le chemin principal tout bourbeux amenait le visiteur jusqu’au parking : un terrain vague qui ressemblait à la Camargue un soir de déluge. Pour moitié, les ampoules de la façade avaient claqué et n’offraient réunies qu’une figure difforme qui vivotait encore ; Le pouls semblait faible, le clignotement incertain. Un léger grésillement sortait de cet ensemble et inspirait peu confiance. Vraiment, le cadre disposait le dépressif à déclencher l’ultime tentative. L’intuitif chauffeur trouva le coin le moins marécageux pour garer son bolide qu’il fit ronfler puis ronronner une dernière fois avant de couper le moteur. Et voilà, mon gars, on y est. Stéphane recourait souvent à de fâcheuses manies de langage : Le prétentieux « mon gars », usé deux fois par phrase comme minimum vital - un mépris inavoué illustré par cet adjectif possessif fichtrement déplaisant - m’agaçait le nombre de fois qu’il était prononcé, d’autant plus lorsqu’il m’était destiné. D’aucuns des plus crédules me diraient que c’est affectueux ; Sur l’échelle de l’impolitesse cool-attitude, à l’effet totalement déconsidérant, on trouve cependant, plus haut perché, le très péjoratif « mon grand » ou encore le royal « hé bonhomme » ; J’avais eu de la chance. Discrètement, sous une énième ondée j’allais me soulager contre un mur déjà bien crasseux que j’avais repéré de loin, certainement la pissotière du petit matin. La soirée pouvait commencer.

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