lundi 19 janvier 2009

Le repas de noël (7/8)

Le repas de noël (7/8)





Les résonances du piano électronique n’en finissaient plus de nous picoter les tympans quand Roland le maïs soufflé annonça l’ultime chanson de Julia Vegas : tout, tout, tout est fini entre nous. Soulagements et boniments accompagnèrent alors les applaudissements d’une assemblée fatiguée. J’ai plus la force du tout. Paulo alluma son briquet et s’en fut terminé d’une première partie de soirée à la désagréable impression de déchéance. D’y croire et d’espérer. Bientôt, d’autres abominables allaient entrer sur la scène cradingue. L’heure sonnait claire et nette pour les ambitieux ; Ils allaient pouvoir se délecter de l’officiel bon goût, le hype ; Celui, en rythme régulier et rapide, de leur machinerie mentale.


Après la bûche et le mousseux trop chaud, DJ Rachid devait montrer l’étendue de ses inspirations musicales ; Une limpide invitation à débrancher les cerveaux. Dès lors, plus possible de s’exprimer autrement qu’avec les mains ; Les décibels, offensifs, occupaient le créneau de la parlotte et tout autre langage que celui du corps devint proscrit. Place aux jeunes ! Ostracisés les arthrosés, les mous du genou, les cérébraux. Bougeons les jambes, disons « oui » de la tête, remuons cheveux et fesses. Aux douloureuses facéties péteuses de Paul Henri, succédèrent les bits et les scratchs d’un disque-jockey surexcité, tricot fuchsia, tignasse ultra gominée : Are you ready ? Ça va être la méga teuf, ce soir ! Cracha t-il dans son micro. Boum, boum, boum. A la première note envoyée, quelques-uns se hâtèrent de prendre congés. Monsieur Sanchez et l’équipe du nettoyage saluèrent poliment Chantal Pfein ainsi que la table du directeur avant de déguerpir de ce terrier abjecte. Jean François, le doyen, terrible responsable du rayon pantalon, peu amateur du doux murmure hip-hop électro - moins flatteur encore quand il était glavioté par un arabe - fit de même et s’extirpa du lieu, sa bobonne à la main.

Comme un seul homme, jeunesse arriviste et mimétiques seconds couteaux se ruèrent astiquer les planches du parquet luisant, de leurs semelles noires et de leurs talons hauts. La foule joyeuse, automate perfectionnée, se trémoussait, clinquante, sur un rythme tout en sons saccadés, au milieu de lumières tourbillonnantes et de fumigènes qui agaçaient les yeux. Je constatai, penaud, la brusque métamorphose des raisonnables en créatures bondissantes ; Crapoteux crapauds en suaient du crachin. Infernal rythmique du travail à l’usine, incroyable marche d’une Wehrmacht enthousiaste, les pavloviens délirants aboyaient de plaisir, et à la truelle, Rachid, les recouvrait de sa pâté divine. Soudainement, un des canidés m’attrapa par le col de la chemise. Stéphane, ivre et tanguant, insista lourdement pour m’emmener gesticuler avec la meute braillarde. Il y tenait aussi fort qu’il s’agrippait à moi, au prix de la couture d’un côté. Stéphane l’incurable, je te hais, toi et tes manières ; Je vomis le peuple si tu en es ! Traitre. Impérissable de couardise, je grimaçais légèrement quand une telle insistance aurait largement mérité un beau revers lifté dans sa face distendue. Quoique je simulais – crispé de l’intérieur – une sérénité relative, choix ulcéreux s’il en était, il me fallut un certain temps pour renvoyer le collant plaisantin à sa fougue de danseur amateur. Va chercher la baballe mon Stéphane, va danser. Laisse papa jouer avec son quignon de pain. Désormais seul à la table, j’entamai une étude comparative de qui venait d’être le plus dégueulasse à l’épreuve du manger proprement : palme à Paulo encore une fois. Nappe déchirée, mandarines dans la cruche et béchamel un peu partout. Puis trop las de ma tendre vacuité, et sans doute un peu gêné, aux chiens, de tourner le dos, je fis face à la piste, un verre rempli, le cœur serré.

Qu’ils étaient pathétiques les champions du bon goût qui moquaient l’endroit et la fadasse chanteuse, eux qui désormais se désarticulaient tels des asticots dans un générateur électrique, se branlant les uns les autres sur leur musique branchée. Un et zéro, les temps modernes, sacrés charlots ! Je multipliais dans ma tête migraineuse, les collages d’idées en vrac. Madame Pfein, prostrée dans un coin, avait perdu la main. Pas de rock, ni de twist, ni même de danse des canards. Les boum, boum, boum s’intensifièrent encore et après quelques claquettes exécutées pour la forme – nous aussi on peut suivre l’air du temps – les quadras fatigués s’en allèrent de concert. Seuls les plus branchouilles – invétérés jeunes cons, vénérés et imités par leurs pâles copies – gigotaient de plus belle. Des binômes de baise se formaient grossièrement ; A la drague du dance-floor, les mouches à string avaient changé d’ânes et Paulo l’amuseur dut laisser place aux Roméo du samedi soir – chemise ouverte, ray-ban, tatouages – qui venaient de lever quelques options de culbutes pour les sièges en cuir de leurs Audi CC. Manifestement, la magie du prestige social opérait. D’aucunes se voyaient déjà en gentille petite boniche d’un futur illustre responsable de grand magasin. Prestige social disais-je ! Beaucoup renoncèrent – trop saouls ou trop pauvres – et la masse des affalés, sur les sièges, fleurit.

1 commentaire:

Dantès a dit…

La fin se fait attendre... En espérant qu'il n'y aura pas d'happy end comme dans les mélos made in USA!!!