lundi 12 janvier 2009

le repas de noël (3/8)

Le repas de noël (3/8)


Un long couloir menait à la grande salle des spectacles. Partout, accrochés aux tapisseries d’un verdâtre bien défraîchi, les clichés des réceptions les plus réussies en disaient long sur le calvaire à venir. Mes craintes se confirmèrent quand une dame à la laideur homogène - certainement une vieille cousine du patron qui avait dû remplacer l’hôtesse titulaire au pied levé - offrait à chaque heureux convive un bout de papier recyclé, le programme dans son strict détail. L’aguerri Roland allait se travestir en pop corn pour annoncer les moult animations : Julia Vegas chante Fabian, La magie selon Maggy, DJ Rachid. Pas bien ma tasse de thé. Je m’empressai d’abréger la lecture pour me rendre d’un pas déterminé dans la pièce principale, loucher un peu quelle pourrait être ma tablée, choisir de loin et discrètement les complices d’un soir. Question de statut, toujours. J’avais déjà réussi, fourbe que j’étais, à bien me décharger de l’écrasant Stéphane qui en retour ne cherchait pas spécialement à prendre de mes nouvelles. Clairement, une folle amitié était née dans l’habitacle de sa voiture de course.

Seuls quelques-uns avaient pris place. Une petite pointe d’exaltation dans ce désert d’enthousiasme me caressa le cerveau lorsque j’aperçu, un peu en retrait, deux collègues déjà vissés sur leurs sièges dont j’estimais la compagnie plutôt supportable. Sauvons la soirée que je me répétais. Le jusqu’au-boutisme de madame Pfein eut rapidement soufflé sur la dernière braise de ma maigre allégresse. Coriace, en véritable stakhanoviste de l’emmerdement, cette garce de mère noël jubilait de maintenir sous le joug de ses décisions chaque détail de sa pourriture de gala, de la couleur des baudruches de l’entrée au nombre de boules sur le sapin en plastique. Elle n’avait ainsi point manqué d’établir un plan de table, clairement cogité depuis des semaines selon des critères dont on voyait venir la logique. Son œil aiguisé avait accouché de son point de vue social. D’un plan de table découle toujours une forme de hiérarchie ; La hiérarchie des gens de bonne compagnie qu’elle avait dû régurgiter après avoir dresser dans son bouillant cerveau un petit tableau pour y entrer des noms et y accoler des mentions. Evidemment, mon carton ornait le bout d’une table surchargée ; C’était sans doute le lot des contrats précaires. Que j’allais me trouver bien à mon aise dans cet angle gauche ! J’imaginais très précisément quel aurait pu être l’état d’esprit de l’organisatrice au moment de concevoir le plan de table des rebuts : ils se serreront un peu, on va rajouter des tabourets. L’élite du magasin – les antipathiques chefs de rayons – brillait de toute sa vacuité au centre de la salle. Eux avaient en commun une similarité absolue des parcours ; Etudiants aux résultats médiocres, ils avaient tout de même réussi à se payer un diplôme au rabais, dans une des succursales de l’illettrisme : l’école de commerce de province. En gros, leur travail consistait, outre quelques exercices comptables, à déterminer le montant de la remise sur le deuxième bermuda. Ils incarnaient la seconde zone de l’offre promotionnelle ; Servile avec le grand patron, exécrable avec le menu personnel, les uns compensaient leur échec manifeste par quelques séances hebdomadaires de yoga ou de sophrologie, les autres usaient d’une dépressive arrogance qui virait généralement à la condescendance. Aucun intérêt d’entamer quelque conversation avec l’un d’entre eux hormis peut-être pour aborder le thème de leur unique passion : le montant de la prime trimestrielle. Malgré tout, au quotidien, c’était à cette clique que j’avais à faire. Il fallait se rendre à l’évidence ; La promotion hiérarchique escomptée passait par le lâche exercice de la poilade forcée en écho systématique aux lourdes bouffonneries des technico-commerciaux. Aussi, Le volontariat rampant et honteux pour les tâches les plus ingrates semblait rapporter des points dans cette quête à la bénédiction des petits prêcheurs de l’affreux liber-théisme. Ces néo-quadragénaires, trop bébêtes pour être bien méchants, maintenaient sous leur ordre une nouvelle génération d’étudiants fraichement diplômés, plus inculte encore, qui aspiraient promptement à prendre la place de leurs illustres aînés. Si le tutoiement était de rigueur, les coups bas ne manquaient pas ; En douceur ou en force chacun des carriéristes en papier chiotte y allait de sa petite quenelle glissée dans le derrière de son concurrent potentiel. Ces vilains petits canards au bec qui sillonnait le parquet, impeccables dans leurs costumes d’hiver, occupaient deux grandes tables à proximité de la piste de danse ; Madame Pfein n’avait pas manqué d’anticiper leur aptitude à la frénésie techno. Restait la périphérie. En retrait, ces messieurs dames du nettoyage s’étaient fait plus coqués qu’à l’accoutumée. Chantal Pfein, qui pour la première fois, les découvrait accoutrés autrement qu’en blouse et sabots blancs, tirait une fierté non dissimulée de les avoir invités in-extremis. Ces pauvres gens ! confiait-elle en douce à tout un chacun, une coupette entre ses doigts bagués, ça me fait plaisir de leur offrir un peu de bonheur. Jamais, elle ne s’adressait à eux naturellement ; Son discours semblait toujours teinté d’un mépris de classe, d’une pointe d’altruisme factice. Alors ! Il est content Monsieur Sanchez de festoyer parmi nous ? Et monsieur Sanchez baissait la tête, sans doute pour discrètement se foutre de la gueule de cette semi-rombière en carton-pâte qui, du haut de son statut d’hôtesse d’accueil se permettait de lui parler comme à un chien.

Les autres tables regroupaient les restes. Des étudiants perdus, de vieux vendeurs plus ou moins alcooliques et dépressifs, les colosses de la logistique passés maîtres, pour la plupart, dans l’art du muet. Aussi, les yeux brillants d’hormones, les jeunes caissières spéculaient du décolleté et semblaient disposées à échanger leur langue contre un peu de galon social. Les plus âgées comptaient seulement se saturer la panse à moindre frais et s’éclater un peu, avec les copines et avec Claude François. Le shaker Pfein avait rondement mélangé tout ça. Il en était du topo et en son beau milieu je tentais de flotter désespérément.

4 commentaires:

Dantès a dit…

J'aime beaucoup ce passage!!! Belle description de la petitesse de certains esprits et de la mesquinerie de beaucoup!

Amiral Potiron a dit…

Oui, tout à fait bien observé pour les gens du nettoyages.
Juste un petit lapsus: "s’étaient fait plus coqués qu’à l’accoutumée"... ;-)

Amiral Potiron a dit…

hum... du nettoyage, dis-je...

schock a dit…

hé hé. Merci.