vendredi 30 janvier 2009

le fond de l'air...

Le fond de l’air...




Quelque part en province. Ce jeudi.

J’y ai fait un petit tour. Comme chaque trimestre, le peuple de gauche s’était donné rendez-vous dans les rues avec pour munitions contestataires, ballons, pancartes, drapeaux et autres confettis. Tout le monde avait l’air plutôt joyeux de participer à la kermesse hivernale. Les chiens, les enfants étaient de sortie, même la grand-mère et le cousin handicapé. On a pris l’air, il faisait beau. Les marginaux se sentaient moins seuls ; on en voyait trainasser quelques-uns ici et là, villageoise à plein goulot, heureux de voir du monde s’inviter à la maison. Des gens se distrayaient à déchiffrer les slogans les plus réussis. Beaucoup étaient minables, mais manifestement un certain nombre de gentils provocateurs avait pris le temps de se fabriquer, chacun, un joli doigt d’honneur symbolique. Clameur dans la foule, enfin le convoi pouvait démarrer. A chaque chapelle, sa grande banderole et sa délégation, les forces de progrès étaient toutes réunies ; Syndicats et partis faisaient fièrement flotter leur couleur dans le ciel parfaitement bleu. Hautes les doléances : délocalisations, service public, pouvoir d’achat…l’éternelle rengaine. Mais triste rengaine. L’époque filait mal, très mal. Chacun semblait d’accord sur le diagnostique - comment ne pas l’être – mais il soufflait comme un vent d’impuissance, comme un cyclone inéluctable…
Incontournables aussi les chants et les musiques des sonos grésillant : Aux oreilles nous revenait sans cesse l’éternel Trois pas avant, trois pas en arrière…sur fond de motivés et de Manu Chao entre autres mélodies traditionnelles. Les voix s’émoussaient un peu au plus le défilé progressait. On croisait des connaissances, des amis qui spéculaient sur le nombre de manifestants ; On voyait du monde, on souriait, on commençait à sérieusement envisager l’apéritif. Bref, pour tout dire, on flairait grossièrement le parfum du déjà vu : Jovialité et revendications teintées d’un pessimisme manifeste…Un énième mouvement probablement inutile, mais qui aura certainement eu le mérite d’en faire chier quelques-uns, de contrarier les apologistes de la productivité, les pourfendeurs de la prise d’otage, les haineux en tout genre du petit peuple inquiet, s’il ne les a pas fait rire…

Mais ce ne fut pas tout. Les rois du cortège, doucettement, changeaient de bonnet... inévitable mais désastreux glissement.

Bien que toujours nombreux et à jamais joyeux, les vieux ouvriers, les employés, les gueules marquées du sceau de la vile industrie, tout ce monde là, au fond, ne semblait plus trop y croire. Ils étaient venus pour se réunir, ne pas se sentir trop seuls. Ils étaient venus pour faire comme d’habitude. Peser sur quoi, peser sur qui ? La routine prenait des airs de combat perdu pour les anciens syndicalistes, pour les lucides travailleurs en lutte. Dix, vingt, trente ans que certains criaient leur inquiétude, leur colère, levaient la pancarte pour signaler leur présence. Et rien que de la saleté, des chiffres et du global abstraits qui progressaient toujours et partout. Personne alors ne s’étonnera de l’exponentiel dépit. La plupart avait compris qu’aucun des membres du Guignol’s band qu’ils avaient élu, ne pouvait influer sur quoi que ce soit, ni sur les quotidiens ni sur la décence. Des représentants de commerce, voilà qui ils étaient, ces animaux de pouvoirs. Ça se sentait, leurs chants anciens, du rouge avaient rosés et sauf quelque uns, ouvriers, employés, jeunes comme vieux, hommes et femmes étaient frappés du fer brûlant de l’abattement, syndrome du nouveau siècle, terrible mais tellement humain.

Ainsi, peu aptes à agiter la compagnie d’un optimisme débordant, les français gueulards et insoumis, peuple en lutte de la veille, avaient légué hargne, vigueur, et microphones à la jeunesse inculte et braillarde…Eux n’y comprenaient rien mais désiraient, ardemment, rependre le flambeau, pour la forme surtout, pour l’esthétique de la révolte, tellement bien notée par les jurys de la bien-pensance. Et chaque organisme avait recruté ses jeunes, la relève, pour mettre le feu, haranguer les foules, lâcher des ballons. Le fond de l’air est rouge messieurs dames ! rouge comme le nez de ces nouveaux clowns : les jeunes rebelles qui chantent faux aux hauts parleurs, faux dans leurs cerveaux et faux dans leurs cœurs. Des lycéens, des étudiants, à profusion, trop contents de leur cirque récent, s’étaient invités à la fête, pour parler de révolution, de Che Guevara…et surtout de pouvoir d’achat. Bien sûr, eux aussi avaient le droit d’être inquiets, mais leurs inquiétudes sentaient trop la teuf, l’illettrisme et la transcendance par le portefeuille pour qu’elles ne paraissent honnêtes et justes. Qu’il va être majestueux le grand soir avec pareils citoyens ! Déprimant de les voir s’agiter ces nouveaux experts de la lutte en plastique, vraiment.

Peut être suis-je un peu raide et partiel ? peut être finalement leur ressemblais-je naguère ? Peut-être aussi se réinventeront-ils ? Peut-être apprendront-ils à regarder autour, à regarder autre chose que le nombril d’une seule jeunesse. Je n’en sais rien. Le clairvoyant dirait que non, trop intoxiqués ces bougres. L’optimiste dirait que c’est une phase d’adaptation, qu’ils liraient plus tard. Le révolutionnaire les guillotinerait tous, les uns après les autres. Mais trêve de commentaires, le fait est qu’hier, ceux là m’ont sacrement gonflé puis gentiment désespéré.

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